Entrevue avec Luc Julia, co-créateur de Siri et directeur scientifique de Renault Group, qui aborde son livre « IA générative pas créative ». Il y discute de la nature des IA, les décrivant comme des outils plutôt que des entités créatives ou dangereuses comme le dépeint Hollywood. Julia souligne les faiblesses des IA génératives, notamment leur manque de pertinence et la consommation excessive de ressources, plaidant pour une utilisation plus mesurée et spécialisée de ces technologies. Il critique également la réglementation européenne actuelle, l’IA Act, pour son manque de compréhension et son oubli des enjeux environnementaux, tout en restant optimiste quant au potentiel de l’IA comme outil d’augmentation de l’intelligence humaine, pourvu qu’elle soit bien utilisée et comprise.
Mes réponses aux deux arguments principaux de Luc Julia 
L’argument énergétique : une critique décontextualisée
La première objection, relative à la consommation énergétique supposément « inacceptable » de l’IA générative, souffre d’une absence flagrante de perspective comparative. Cette notion d’acceptabilité, brandie comme un absolu moral, ne trouve sa pertinence que dans la relativité de l’usage et du bénéfice obtenu.
Considérons l’analogie automobile : personne ne qualifierait d’inacceptable la consommation de carburant d’un trajet autoroutier de cent kilomètres, car nous comprenons intuitivement le rapport coût-bénéfice face à l’alternative pédestre. Cette même logique s’applique à l’IA générative avec une acuité particulière.
Lorsqu’une requête complexe sollicite une intelligence artificielle, elle ne remplace pas une unique recherche traditionnelle, mais un processus laborieux impliquant dizaines, voire centaines de consultations sur moteurs de recherche, lectures d’articles, recoupements d’informations. Ce travail de synthèse, qui exigerait plusieurs heures d’investigation humaine - sans garantie d’aboutissement -, s’accomplit désormais en quelques secondes ou minutes. La consommation énergétique doit donc s’évaluer non pas dans l’absolu, mais face à cette alternative : des heures de navigation web intensive, avec leur cortège de serveurs sollicités, de transferts de données, d’écrans allumés.
Création versus génération : un faux débat conceptuel
Le second argument, qui constitue apparemment le cœur de son ouvrage critique et lui donne son tirtre, établit une distinction artificielle entre création et génération de contenu. Cette dichotomie révèle une conception romantisée, presque mystique, du processus créatif humain.
La création pure, celle qui surgirait ex nihilo de l’esprit humain, relève davantage du mythe que de la réalité cognitive. Les révolutions créatives authentiques - celles qui transforment réellement l’humanité - se comptent effectivement sur les doigts d’une main à travers l’histoire. Le reste, l’immense majorité de ce que nous qualifions de création, procède par recombinaison, réinterprétation, synthèse d’éléments préexistants.
L’écrivain puise dans ses lectures, ses rencontres, sa culture ; le peintre transforme ses influences, ses observations, son apprentissage technique. Aucune œuvre ne naît par génération spontanée, mais toutes émergent de cette alchimie complexe entre acquis et intuition, entre héritage culturel et vision personnelle. En quoi ce processus diffère-t-il fondamentalement de celui de l’intelligence artificielle, sinon par le substrat - biologique versus numérique - qui l’opère ?
Cette distinction artificielle entre création humaine noble et génération artificielle servile ne résiste pas à l’examen. Elle trahit une incompréhension profonde des mécanismes créatifs, qu’ils soient humains ou artificiels, et révèle peut-être une anxiété existentielle face à la démocratisation de capacités longtemps considérées comme exclusivement humaines.
La véritable question n’est pas de savoir si l’IA crée ou génère, mais de comprendre comment elle enrichit ou appauvrit le processus créatif global de notre société. Car faire l’économie de cette réflexion nuancée, c’est risquer de passer à côté des véritables enjeux de cette révolution technologique.