Forma, la fin de Revit ?

L’architecture à l’ère de l’intelligence artificielle : vers la fin des logiciels traditionnels ?

Après avoir suivi attentivement les sessions d’ouverture de l’Autodesk® Université, notamment celle consacrée à l’architecture et à la construction, une interrogation fondamentale s’impose : assistons-nous à une mutation paradigmatique de la conception architecturale, orchestrée par l’intelligence artificielle et incarnée par des plateformes comme Forma ?

Cette réflexion naît d’une observation troublante lors des démonstrations : la facilité déconcertante avec laquelle Forma permet d’exporter rapidement des conceptions vers des logiciels d’architecture traditionnels pour poursuivre le travail de conception. Cette fluidité révèle, en creux, une question essentielle : Forma n’est pas, à proprement parler, un logiciel d’architecture au sens classique du terme. Il s’apparente davantage à un outil d’urbanisme, d’études thermiques et d’ensoleillement – un instrument d’avant-projet, pourrait-on dire.

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Mais ce qui nous a été présenté dépasse largement cette fonction initiale. L’évolution annoncée de la plateforme, portée par l’intelligence artificielle, promet une transformation radicale : non seulement esquisser les grandes lignes directrices d’un bâtiment – ce que Forma accomplit déjà depuis plusieurs années – mais pénétrer littéralement dans l’édifice, concevoir des espaces avec des contraintes données à une intelligence artificielle. Nous voici bien au-delà du périmètre originel de Forma.

D’où cette interrogation lancinante : dans trois ans, peut-être moins, à quoi servira Revit® ? Certains visionnaires – dont je ne prétends pas faire partie, faute de maîtriser suffisamment ce domaine – prédisent déjà la réduction drastique du rôle de l’architecte. Si l’on fournit à une intelligence artificielle les règles de construction, les législations, les normes techniques et thermiques, elle devrait théoriquement concevoir virtuellement un bâtiment complet. C’est ce qu’on appelle la conception générative, déjà largement appliquée dans le design industriel et la mécanique.

La dialectique des méthodologies

Plutôt que d’envisager une obsolescence totale de Revit®, il convient d’examiner la différence méthodologique fondamentale qui sépare ces deux approches. Cette analyse révèle non seulement un changement d’outils, mais une véritable révolution épistémologique dans l’approche du projet architectural.

Lorsque vous utilisez Revit® ou AutoCAD®, vous construisez avec des « briques élémentaires » : pour AutoCAD®, ce sont des éléments de dessin technique – lignes, arcs, cercles, textes, cotations. Un système modulaire relativement simple, comparable à un jeu de Lego aux pièces limitées. Ces briques ne sont pas orientées métier, AutoCAD® n’étant pas spécifiquement un logiciel d’architecture.

Revit®, bien qu’étant un logiciel d’architecture, fonctionne selon une logique similaire – au risque de faire hurler certains spécialistes. On y assemble des briques métier : dalles, portes, fenêtres, toitures, que l’on combine judicieusement pour édifier virtuellement un bâtiment. Cette approche, héritée de décennies de tradition constructive, procède par agrégation d’éléments distincts vers une totalité cohérente.

L’approche révolutionnaire de Forma

Forma procède de manière radicalement différente. Son approche s’inscrit dans une logique descendante, du général au particulier, qui parfois demeure au niveau général – contrairement à la très vaste majorité des logiciels de DAO et CAO qui fonctionnent exactement à l’inverse. Cette différence méthodologique est absolument fondamentale et témoigne d’une philosophie de conception entièrement renouvelée.

La méthodologie Forma n’est possible que grâce à l’intelligence artificielle. Nous en étions aux prémices il y a quelques années ; aujourd’hui, nous assistons à une véritable explosion. Dans Forma, vous ne spécifiez pas tel type de porte, telle fenêtre, telle hauteur de dalle. Au contraire, vous définissez un contexte urbain et exprimez des intentions générales : « Dans cet espace urbain, j’aimerais un bâtiment d’une certaine surface habitable, ne dépassant pas telle hauteur, bénéficiant d’un ensoleillement hivernal optimal sans surchauffe estivale, tenant compte des vents dominants… »

Nous sommes effectivement aux antipodes de Revit®. La plateforme Forma, assistée par l’intelligence artificielle, conçoit alors quelque chose qui progresse du plan masse – un ou plusieurs bâtiments réduits à des parallélépipèdes – vers un affinement progressif. Dans quelques années, selon les démonstrations présentées, cet affinement pourrait rejoindre, voire dépasser, ce que nous réalisons laborieusement avec Revit®.

L’hypothèse d’une transformation profonde

Mon hypothèse – celle d’un observateur attentif plutôt que d’un spécialiste du domaine – est que nous pourrions nous affranchir de l’assemblage fastidieux de briques élémentaires. Après tout, il ne faut pas être particulièrement intelligent pour empiler des briques ou savoir qu’une porte ou une fenêtre peut se placer dans un mur à un endroit donné, si la place le permet. L’intelligence artificielle peut assurément s’acquitter de ces tâches répétitives et techniques.

Cette transformation ne se contente pas de modifier nos outils ; elle redéfinit fondamentalement le rôle de l’architecte. Celui-ci pourrait retrouver sa fonction première et noble : la conception d’espaces habités, la réflexion sur l’usage et le sens, l’articulation entre besoins humains et contraintes techniques, libéré des contingences laborieuses de l’assemblage constructif.

Vers une Architecture Augmentée ?

La question qui émerge de ces premières sessions de l’Autodesk® Université est donc la suivante : n’assistons-nous pas à la fin annoncée des logiciels d’architecture traditionnels ? Je mentionne Revit®, mais d’autres existent. Ne migrons-nous pas vers des plateformes de conception cloud utilisant massivement l’intelligence artificielle, renversant complètement le paradigme architectural pour le ramener à sa fonction première : l’idée et l’esquisse, pour parvenir aux plans définitifs ?

Cette évolution pourrait paradoxalement réconcilier l’architecte avec son essence créatrice, en le libérant de la technicité pure pour le reconnecter à l’intuition spatiale et à la vision d’ensemble. L’intelligence artificielle deviendrait alors non pas un concurrent, mais un collaborateur silencieux, capable de traduire instantanément l’intention conceptuelle en solutions techniques viables.

Comme on dit, la réflexion demeure ouverte, mais les signes d’une transformation profonde se multiplient. Cette mutation technologique interroge notre conception même de la création architecturale : entre l’artisan qui assemble patiemment ses matériaux et le créateur qui insuffle une vision d’ensemble, quel architecte choisirons-nous d’être à l’ère de l’intelligence artificielle ?

WHAOU … je vais perdre mon travail de formateur SI Revit® disparait non ?

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Mais non, tu seras formateur Forma ! Rien ne se perd, tout se transforme :blush: