TRIZ, acronyme russe de Théorie de Résolution des Problèmes Inventifs, représente une méthodologie structurée révolutionnant l’approche de l’innovation technique. Développée en Union soviétique et basée sur l’analyse méthodique de milliers de brevets, cette théorie propose des outils puissants pour surmonter les contradictions techniques qui limitent habituellement l’innovation. Au lieu de se contenter de compromis, TRIZ guide les concepteurs vers des solutions originales en s’appuyant sur des principes universels d’invention identifiés à travers différents domaines scientifiques et techniques. Cet article explore les fondements, la méthodologie et l’application de cette approche encore relativement méconnue en France, mais largement adoptée dans plusieurs pays industrialisés.
Les origines et le développement de la TRIZ
Genrikh Altshuller : le père fondateur
La TRIZ a été créée par Genrikh Saulovich Altshuller, un ingénieur, inventeur et écrivain soviétique né le 15 octobre 1926 à Tashkent, en Ouzbékistan2. Sa carrière d’innovateur a débuté précocement quand, à l’âge de vingt ans, il a rejoint la Marine soviétique et s’est fait remarquer pour ses aptitudes à réparer des moteurs, ce qui lui a valu une affectation à la Commission d’Innovation de la Flottille navale de la mer Caspienne2.
Travaillant comme employé dans un bureau des brevets, Altshuller a entrepris de rechercher des règles génériques expliquant la création de nouvelles idées inventives et brevetables2. Cette démarche l’a conduit à développer la « Teoriya Resheniya Izobreatatelskikh Zadach » (Théorie de Résolution des Problèmes Inventifs ou TRIZ)2. En 1956, avec son ami d’école Rafael Shapiro, il a rédigé un article intitulé « Psychologie de la créativité inventive », qui allait devenir influent dans l’étude du développement des inventions2.
Le parcours d’Altshuller n’a pas été sans obstacles. Durant les purges politiques de Joseph Staline en 1950, il a été emprisonné pour des raisons politiques après avoir envoyé une lettre à Staline2. Durant son séjour au camp de travail de Vorkuta, il a continué ses études avec ses codétenus. Après sa libération en 1954, il s’est installé à Bakou, en Azerbaïdjan2.
Diffusion et évolution de la méthodologie
À partir des années 1970, un véritable mouvement TRIZ s’est développé parmi les ingénieurs soviétiques et autres personnes intéressées par la technique, avec Altshuller jouant le rôle de leader intellectuel2. Il donnait des conférences lors de congrès TRIZ, publiait des articles et des livres, et correspondait avec divers praticiens de TRIZ2. Il est devenu membre fondateur et président de l’Association russe TRIZ2. En 1971, il a fondé l’Institut public d’Azerbaïdjan pour la créativité inventive, une école qui était "un mélange d’improvisation bohème et de pensée technique"2.
Pendant longtemps, il a publié des articles sur TRIZ, avec des exemples et des exercices, dans le magazine scientifique soviétique populaire « Izobretatel i Ratsionalizator » (Inventeur et Innovateur)2.
Les principes fondamentaux de la méthodologie TRIZ
Une approche basée sur l’analyse de brevets
La TRIZ repose sur un constat fondamental : les problèmes rencontrés lors de la conception d’un nouveau produit présentent souvent des analogies avec d’autres problèmes déjà résolus, et des solutions analogues peuvent donc s’appliquer1. Cette observation découle de l’analyse approfondie d’un grand nombre de brevets par Altshuller et son équipe.
Concrètement, TRIZ est fondée sur l’analyse de 40 000 brevets soigneusement sélectionnés parmi 400 000 brevets internationaux1. Ces brevets ont la particularité de présenter des principes communs d’innovations, et ce dans des domaines très variés, ce qui a permis d’extraire des modèles récurrents et des principes universels d’innovation1.
Objectifs et approche générale
L’ambition de TRIZ est double : favoriser la créativité et stimuler la recherche de concepts innovants en proposant aux ingénieurs et aux inventeurs des outils de déblocage de l’inertie mentale1. Plutôt que de s’appuyer uniquement sur les méthodes traditionnelles comme le brainstorming, qui dépendent fortement de l’inspiration aléatoire, TRIZ offre une démarche structurée et systématique.
TRIZ oriente le concepteur et le guide à chaque étape de la résolution de problème, en proposant systématiquement des solutions génériques et des outils éprouvés1. Cette approche permet de profiter de l’expérience acquise dans différents domaines d’activité et des principes fondamentaux simples qui en ont été tirés1.
Processus de résolution des problèmes inventifs
La méthode TRIZ utilise un processus en trois phases clairement définies pour résoudre un problème de conception innovante1:
- Phase d’abstraction du problème : Cette étape vise à traduire un problème spécifique (le problème à résoudre) en un problème générique qui soit indépendant du domaine physique du problème. Ce problème générique est décrit sous la forme de contradictions1.
- Phase de résolution du problème générique : Cette phase consiste à identifier les principes de résolution pouvant être utilisés pour résoudre les contradictions identifiées dans la phase précédente. Elle conduit à la définition de solutions génériques1.
- Phase de concrétisation de la solution : Cette dernière étape vise à traduire les solutions génériques en concept de solution concret, permettant de résoudre le problème spécifique initial1.
Cette stratégie permet notamment au concepteur d’utiliser des principes de solutions en dehors du domaine du problème technique, conformément à l’un des constats d’Altshuller : les innovations utilisent souvent des effets scientifiques en dehors du domaine dans lequel ils ont été développés1.
Les contradictions : pierre angulaire de la TRIZ
Le concept de contradiction dans l’innovation
La notion de contradiction est l’élément essentiel de la TRIZ : tous les problèmes d’innovation présentent la même difficulté majeure - ils semblent insolubles du fait de la présence d’un certain nombre de contradictions1. Dans la majorité des cas, les ingénieurs ont tendance à privilégier une solution qui est un compromis entre les différents paramètres plutôt qu’une solution résolvant véritablement ces contradictions1.
L’approche traditionnelle de l’ingénierie consiste souvent à accepter ces compromis comme inévitables. Par exemple, dans le domaine des moteurs, il existe des exigences contradictoires de poids et de puissance, ou en informatique, un conflit entre la vitesse d’exécution et l’empreinte mémoire1. La TRIZ propose de dépasser ces compromis en cherchant des solutions qui résolvent directement les contradictions.
Typologie des contradictions
TRIZ distingue trois types de contradictions, chacune nécessitant une approche de résolution spécifique1:
- Les contradictions opérationnelles : Elles concernent les modes de fonctionnement opposés d’un système.
- Les contradictions techniques : Elles apparaissent lorsque l’amélioration d’un paramètre technique entraîne la détérioration d’un autre paramètre.
- Les contradictions physiques : Elles surviennent lorsqu’un même élément doit posséder des propriétés physiques opposées.
Plusieurs outils spécifiques ont été développés pour extraire les contradictions d’un problème technique, comme l’Analyse de cause racine (Root-Causes Analysis) ou l’analyse des valeurs conflictuelles (Values-Conflict Mapping Analysis)1.
ARIZ : l’algorithme de résolution de la TRIZ
Présentation de l’algorithme ARIZ
L’algorithme ARIZ (Acronyme russe de « алгоритм решения изобретательских задач », soit АРИЗ, « algorithme de résolution des problèmes inventifs ») représente l’aboutissement de la méthodologie TRIZ1. Il s’agit d’une méthode pas-à-pas comprenant 85 étapes permettant de résoudre des problèmes d’innovation complexes qui ne peuvent être résolus à l’aide des outils de la TRIZ pris isolément1.
ARIZ peut être considéré comme une superstructure méthodologique intégrant l’ensemble des outils et principes de la TRIZ dans une démarche cohérente et exhaustive.
Structure et composantes de ARIZ
L’algorithme ARIZ se constitue de 9 parties principales1:
- Analyse du problème : Définition précise du contexte et des enjeux.
- Analyse du modèle de la situation initiale : Modélisation du système problématique.
- Formulation du résultat idéal final et des contradictions physiques : Définition de la solution idéale théorique.
- Mobilisation et utilisation des ressources vépoles : Exploration des ressources disponibles.
- Utilisation de la base de données de la TRIZ : Application des principes et modèles connus.
- Finalisation de la proposition et substitution du problème : Reformulation et ajustement.
- Évaluation de la solution et des modes de suppression des contradictions : Analyse critique des solutions proposées.
- Utilisation maximale des ressources d’une solution retenue : Optimisation de la solution choisie.
- Contrôle de la démarche de résolution entreprise : Vérification de la cohérence méthodologique.
Cet algorithme est complété par des outils pratiques comme la matrice des contradictions mise à jour, une subdivision des principes d’inventivité en catégories et des listes d’effets scientifiques1.
Diffusion internationale et applications pratiques
Adoption internationale de la TRIZ
Bien qu’originaire de Russie, la méthode TRIZ est aujourd’hui fortement implantée aux États-Unis, ainsi qu’au Japon, en Israël, en Suède et en Allemagne3. Elle permet de réduire de façon importante les durées des cycles de conception, ce qui explique son adoption croissante dans les pays industrialisés3.
Aux États-Unis, la TRIZ est largement reconnue, notamment grâce à l’Innovation Assistée par Ordinateur (IAO) et au travers de logiciels tels que Tech Optimizer (TO) ou Innovation Work Bench (IWB)3. En France, cependant, elle demeure encore relativement méconnue des industriels, malgré l’intérêt qu’elle présente3.
Applications dans divers secteurs industriels
Les outils de TRIZ sont particulièrement utilisés en France dans l’industrie automobile et dans l’aéronautique, mais des applications à d’autres secteurs sont fréquentes1. Ils permettent à la fois de résoudre des problèmes d’inventivité, de préparer des dépôts de brevets mais aussi de préparer des stratégies de R&D1.
Un exemple concret d’application de la TRIZ est l’identification de la fonctionnalité exacte d’une innovation et la recherche de solutions similaires dans d’autres domaines, comme le montre le cas du stylo spatial de la NASA ou l’adaptation de la technologie du ciment pour la production de beurre d’arachide4.
Intégration dans l’enseignement et la recherche
Face à l’intérêt grandissant pour cette méthodologie, certaines institutions académiques ont commencé à l’intégrer dans leurs programmes. Par exemple, l’École Nationale Supérieure d’Arts et Métiers (ENSAM) a décidé de s’investir dans la compréhension et le développement de cette méthode, tant pour la mettre en œuvre dans le cadre de projets menés par les élèves ingénieurs en entreprises que pour l’intégrer à son enseignement3.
Conclusion
La Théorie de Résolution des Problèmes Inventifs (TRIZ) constitue une approche méthodologique puissante pour stimuler et structurer l’innovation technique. Fondée sur l’analyse systématique de milliers de brevets, elle propose des outils et des principes permettant de surmonter les contradictions apparemment insolubles qui limitent souvent l’innovation.
Le processus en trois phases (abstraction, résolution générique, concrétisation) permet de s’affranchir des limites du domaine spécifique du problème et d’exploiter des solutions analogues issues d’autres secteurs. La classification des contradictions et l’algorithme ARIZ fournissent un cadre méthodologique complet pour aborder les défis les plus complexes.
Bien que largement adoptée dans plusieurs pays industrialisés comme les États-Unis, le Japon ou l’Allemagne, cette méthodologie reste relativement méconnue en France. Son potentiel pour réduire les cycles de conception et générer des innovations de rupture mérite pourtant une attention particulière, tant de la part des industriels que des institutions académiques.
Dans un contexte économique où l’innovation est devenue un facteur clé de compétitivité, la TRIZ représente un atout stratégique pour les entreprises cherchant à se démarquer par leur capacité à résoudre des problèmes techniques complexes de manière originale et efficace.
Citations:
- TRIZ — Wikipédia
- Genrikh Altshuller - Wikipedia
- https://rfgi.fr/rfgi/article/view/307
- TRIZ : La Théorie de Résolution des Problèmes Inventifs pour Booster l'Innovation - Michelle Blanc, M.Sc. commerce électronique. Marketing Internet, consultante, conférencière, auteure.
- TRIZ – Wikipédia, a enciclopédia livre
- https://www.techniques-ingenieur.fr/base-documentaire/innovation-th10/ingenierie-de-l-innovation-42833210/la-triz-une-theorie-de-l-invention-en-support-des-activites-de-r-et-d-outils-et-mise-en-uvre-par-l-exemple-ag5212/
- http://triz.fr/fr
- https://www.triz.co.uk/what-is-triz