Le beau, le laid, et l'acceptable

Ainsi donc, nous voilà au cœur de cette grande comédie moderne où la CAO se drape des habits de l’objectivité scientifique tout en flirtant avec l’esthétique, cette vieille maîtresse capricieuse. Quelle magnifique illusion que de croire que nos logiciels, ces temples de rationalité mathématique, puissent nous affranchir de l’arbitraire du goût!

La conception d’objets serait donc affaire de technique, de géométrie, d’ingénierie… Un ballet mécanique de chiffres et de contraintes. Mais l’esthétique, cette invitée surprise, s’immisce toujours dans l’équation, ramenant avec elle tout le chaos de la subjectivité humaine.

N’est-il pas délicieusement ironique que nous prétendions quantifier la beauté avec nos algorithmes sophistiqués, alors même que nous sommes incapables de nous accorder sur elle? « Du goût et des couleurs », ce proverbe éculé qui sert si souvent d’excuse à la médiocrité visuelle.

Et pourtant, certaines horreurs parviennent à créer l’unanimité dans le rejet qu’elles suscitent. Cette voiture à la bosse inexplicable (peut-être inspirée par le beluga) – aberration formelle que même le plus relativiste des philosophes ne pourrait défendre – devient le totem autour duquel nous nous rassemblons en communion dans l’indignation esthétique.

  • Oh la belle voiture !
  • Qu’elle est moche !
  • C’est une voiture ?
  • Mais qu’est-ce qui leur a pris…
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Mais la véritable imposture réside dans cette prétention à l’universalité du jugement. Ce que nous admirons n’est que le reflet de notre propre conditionnement, un assemblage d’expériences personnelles et d’héritages culturels qui ont façonné notre perception du beau comme un sculpteur façonne l’argile. Notre cerveau, ce grand illusionniste, nous fait croire à l’objectivité de nos préférences alors qu’elles ne sont que les cicatrices de notre parcours individuel.

La CAO elle-même n’est-elle pas l’incarnation parfaite de cette contradiction? Outil rationnel par excellence qui finit par produire des objets dont la valeur ultime sera jugée par les mécanismes irrationnels de notre perception. Quelle farce magnifique que cette quête de la beauté mathématisée!