L'IA et la fin des licences logicielles : pourquoi vous paierez bientôt pour les résultats, pas pour les sièges

Le modèle économique qui a dominé le monde du logiciel depuis des décennies, la fameuse licence « par siège » ou par utilisateur (SaaS[1]), est sur le point de disparaître. La cause de cette révolution ? L’intelligence artificielle. Nous entrons dans une nouvelle ère où la valeur d’un logiciel ne se mesurera plus au nombre de personnes qui y ont accès, mais aux résultats concrets qu’il génère. Bientôt, vous ne paierez plus pour des « sièges », mais pour la consommation et la performance.

[!Success] Le débat

1. Le Modèle « Par Siège » : Une Logique Dépassée

Le modèle de « licence par siège » est simple : une entreprise paie un tarif fixe pour chaque employé qui a besoin d’accéder à un logiciel, qu’il l’utilise une heure par mois ou huit heures par jour. Cette approche, bien que simple à facturer, présente une double faiblesse. Elle est non seulement inefficace pour le fournisseur, qui ne peut capturer la valeur réelle d’un utilisateur intensif, mais elle est aussi perçue comme injuste par le client, qui paie pour des licences souvent dormantes. Comme le souligne Ali Gohar, directeur des ressources humaines chez Software Finder :

« Faire payer le même tarif à quelqu’un qui se connecte une fois par semaine et à quelqu’un qui utilise un service 12 heures par jour n’est pas rentable. »

Ce modèle, longtemps la norme, est maintenant remis en question par une avancée technologique majeure : l’intelligence artificielle.

2. L’IA en Action : L’Émergence des « Agents »

Les « utilisateurs » de demain ne seront pas tous humains. Il faut désormais compter avec les agents d’IA. Imaginez-les comme des assistants virtuels autonomes qui agissent en notre nom. Par exemple, un agent pourrait analyser en continu les rapports de vente pour ajuster automatiquement les niveaux de stock, sans qu’un humain n’ait à ouvrir le logiciel. Selon Natasha Chryssafi, directrice principale de la gestion des produits chez Wolters Kluwer tax and accounting, ces agents peuvent automatiser des tâches, prendre des décisions et collaborer avec d’autres systèmes. Il ne s’agit pas d’une simple nouveauté technique, mais d’un changement fondamental dans la nature même du travail, qui à son tour impose une refonte économique.

Cette transition a un impact quantitatif massif. Selon George Brown, associé chez Partner Economics, les transactions logicielles entre agents devraient réduire le nombre de sièges humains nécessaires de 70 %. Ce chiffre n’est pas anecdotique ; il signale une restructuration fondamentale de la main-d’œuvre numérique. Il pose aussi une question évidente : si ce ne sont plus les humains qui utilisent principalement les logiciels, pourquoi continuer à payer par « siège humain » ? Avec les agents d’IA devenant les principaux « utilisateurs », les entreprises doivent logiquement repenser la manière de facturer leurs services.

3. Vendre des Résultats : Les Nouveaux Modèles Économiques

La solution qui émerge est la « tarification fondée sur la consommation ». Au lieu de payer un forfait, les clients paient pour ce qu’ils utilisent réellement. Ce principe se décline sur un spectre de modèles allant de la simple mesure d’usage à l’objectif ultime de la valeur créée :

  • Utilisation (temps passé, données traitées)
  • Jetons (tokens, une unité de mesure de la « puissance de calcul » consommée par une IA)
  • Production (nombre d’éléments générés)
  • Résultats (ex: pourcentage de réduction des coûts obtenu, nombre de leads qualifiés générés)

Ce tableau synthétise le changement de paradigme :

Caractéristique Ancien Modèle (Par Siège) Nouveau Modèle (Basé sur l’IA)
Base de Facturation Nombre d’utilisateurs humains Consommation réelle ou résultat obtenu
Ce que vous payez Un droit d’accès au logiciel La valeur générée par le logiciel
Qui est « l’utilisateur » ? Principalement un employé De plus en plus, un agent d’IA

Le modèle le plus avancé, point d’aboutissement logique de cette évolution, est celui basé sur les « résultats ». Ali Gohar le résume parfaitement : « Les éditeurs de logiciels vont devoir vendre des résultats, et non des licences. » Cette approche est non seulement plus juste, mais aussi plus viable commercialement. George Brown souligne qu’un paiement basé sur un résultat concret est beaucoup plus simple à comprendre pour un « homme d’affaires moyen » qu’une facturation complexe par jetons ou temps de calcul. Ce changement fondamental de modèle économique apporte à la fois des opportunités et des risques pour les clients.

4. Opportunités et Risques pour le Client

Pour les clients, ce nouveau monde offre des bénéfices significatifs :

  • Flexibilité : Les entreprises peuvent s’adapter et ne paient que pour ce qu’elles utilisent réellement, évitant le gaspillage.
  • Meilleurs Accords : Il devient possible de négocier des contrats plus justes, basés sur la valeur apportée et non sur le nombre d’employés.
  • Transparence : Les contrats fondés sur la performance et la valeur sont plus clairs et plus faciles à justifier en interne.

Cependant, la vigilance est de mise. Le principal risque, selon Ofir Bloch, vice-président du positionnement stratégique chez WalkMe, est que certains fournisseurs pourraient « reconditionner » leurs prix dans des offres groupées opaques pour masquer les coûts réels. Pour l’éviter, sa recommandation est claire : avant de signer un contrat basé sur la consommation, demandez à voir les données de performance et ne vous engagez pas avant d’avoir vérifié que le fournisseur peut mesurer ce qu’il facture.

Cette vérification des métriques n’est pas qu’une précaution commerciale ; elle s’inscrit dans un besoin plus large de gouvernance que Natasha Chryssafi met en avant. Il est essentiel d’assurer une supervision humaine pour garantir que les agents d’IA pour lesquels vous payez fonctionnent de manière fiable et responsable.

Conclusion : Bienvenue dans l’Ère « Post-SaaS »

Nous quittons progressivement l’ère du SaaS pour entrer dans ce que le cabinet McKinsey appelle l’ère « post-SaaS ». L’intelligence artificielle, par l’intermédiaire de ses agents autonomes, n’est pas seulement une nouvelle fonctionnalité ; elle est le catalyseur d’une transformation profonde de l’économie du logiciel. Cette transition vers une facturation basée sur la valeur et les résultats n’est pas une prédiction lointaine. C’est une réalité en pleine accélération : entre 2015 et 2024, le nombre d’entreprises de logiciels basées sur la consommation a plus que doublé. La révolution n’est plus une hypothèse ; ses fondations économiques sont déjà posées, redéfinissant la valeur même du logiciel.


  1. Software as a Service ↩︎